Lors de sa dernière visite aux Etats-Unis, à l'occasion de sa rencontre avec le nouveau président
des Etats-Unis Donald Trump, le premier ministre de l'Etat d'Israël Benyamin Netanyahou, a répété une de ses idées phares qui passe généralement inaperçue.
des Etats-Unis Donald Trump, le premier ministre de l'Etat d'Israël Benyamin Netanyahou, a répété une de ses idées phares qui passe généralement inaperçue.
Celle qu'il invoque pour justifier l'appellation "Etat juif" utilisée pour désigner l'Etat d'Israël.
Netanyahou, qui est un laïc qui se fiche pas mal des rites judaïques comme la cacherout, le repos sabbatique dans sa version rabbinique pharisienne post-Shoulkhan Aroukh (du style, on n'allume pas la lumière, on ne prend pas la voiture, ni l'ascenseur, on ne fait pas ci on ne fait pas ça) - même s'il contient dans sa coalition gouvernementale nombre de religieux, dont les ultra-orthodoxes sépharades du parti Shass et les ashkénazes de Yaadout Hatorah, avec qui il est obligé de travailler et à qui il lâche pas mal de financement étatique, de règles et de lois, au nom du sacro-saint "statu quo" israélien - a expliqué en effet que si "nous étions appelé juifs, c'est parce que nous venons de Judée."
Sur le fond, il n'a pas tort. Le terme juif est bien dérivé de la Judée ou Juda, Yehouda en hébreu, qui a donné Yehoudi = juif.
Mais, si on ne peut ici refaire toute l'histoire de ce mot et l'évolution des "juifs" au cours de l'histoire (nous renverrons toutefois à un article de David Belhassen sur le nom "Israël"), on remarquera que le terme "juif" renvoie néanmoins aujourd'hui aux adeptes du judaïsme, la religion juive, et / ou à ceux qui estiment être "de culture juive".
Or si Netanyahou invoque la provenance géographique - la Judée - pour justifier de la façon dont on nomme l'Etat d'Israël et dont il se définit, il conviendrait alors de ne pas parler d' "Etat juif" mais d' "Etat judéen", en français. De même en anglais, on ne parlerait pas de "Jewish state" mais de "Judean State", de même pour d'autres langues. Il n'y a qu'en hébreu en effet que "Medina Yehoudit" pourrait être conservée, - quoique compte tenu de la confusion avec le terme Yehoudi employé comme un nom et non plus seulement comme un adjectif, il conviendrait plutôt de dire dire "Medina Yehouda" (Etat de Judée), mais on concluerait alors que "Etat juif" serait en fait une mauvaise traduction.
Netanyahou tiendrait là un sacré argument ...
Si seulement c'était strictement vrai.
Bien que Netanyahou démontre une certaine connaissance et une certaine rhétorique qui passe complètement au-dessus de la tête des commentateurs, qui ne s'y sont pas particulièrement arrêtés à ma connaissance, il convient de faire plusieurs remarques.
Si seulement c'était strictement vrai.
Bien que Netanyahou démontre une certaine connaissance et une certaine rhétorique qui passe complètement au-dessus de la tête des commentateurs, qui ne s'y sont pas particulièrement arrêtés à ma connaissance, il convient de faire plusieurs remarques.
- Notons avant tout que Netanyahou emploie lui-même le terme "Jewish" en anglais alors qu'il devrait parler de "Judean" pour être fidèle à sa pensée. Il défend le "Jewish state" et non le "Judean State", ce qui maintient la confusion entre "juif" et "judéen".
En parlant d'Etat judéen en effet, Netanyahou renverrait aux calendes grecques - ou hébraïques - les critiques sur la définition religieuse de l'Etat d'Israël et toutes les questions qui gravitent autour d'elle.
Ce ne serait pourtant qu'un argument de surface car la notion de "juif" dans ses acceptations religieuses, et non de "judéen", est bien au coeur de l'Etat d'Israël. Il resterait ainsi nombre de problèmes à résoudre : les définitions du "juif" dans la loi du retour de 1951 et pour les citoyens définis comme "juifs" dans les registres de l'Etat, le poids des rabbins, la question des minorités non "juives" ou non définies comme telles, etc, etc. Certaines questions seraient propres à l'Etat d'Israël mais d'autres néanmoins, ne seraient pas tant différentes de ce qu'on rencontre dans de multiples Etats-nations confrontés à des problèmes d'identité, de forte immigration, de minorités hostiles, et de revendications de type "nationales" au bénéfice de "nations" étrangères à l'Etat nation en question.
Et c'est pourquoi la remarque de Netanyahou méritait de s'y arrêter.
Mais cette définition continuerait à poser plusieurs problèmes :
- Tout d'abord, l'Etat d'Israël n'est pas établi que sur la Judée - le territoire de Judée fait justement partie d'un des territoires contestés par le reste du monde, qui y voit Israël comme un "occupant". Il y aurait donc un premier problème géographique.
- Ensuite parce qu'on ne pourrait alors parler judicieusement "d'Etat d'Israël" : il ne faudrait donc que parler "d'Etat de Judée" ou "Etat judéen" ou "Judée" - bien qu'il ne soit pas situé entièrement dans la région de Judée au sens strict (voir plus haut), car la Judée et les Judéens ne sont pas tout Israël. Les pères de l'Etat d'Israël avaient d'ailleurs envisagé le terme de Juda lors de la création de l'Etat en 1948. Mais le terme "Israël" leur avait paru plus rassembleur. Voir sur ce point notre Petite histoire des Hébreux. Ils avaient raison, Israël est effectivement plus rassembleur que Judée. Car l'histoire d'Israël ne se limite pas qu'à la Judée - même si la Judée a eu une importance non négligeable dans son histoire, importance renforcée toutefois par le narratif biblique (Voir notamment les études sur le narratif biblique renforçant le poids de Juda au cours de l'histoire). Ne parler que des Judéens en effet - même au sens large - gomme radicalement les autres tribus d'Israël qui sont l'histoire et l'héritage de tout un peuple. Comment réduire à la Judée, qui n'est qu'une région parmi d'autres, les territoires du Sharon, de Galilée, de Samarie, du Golan, du Néguev, qui font clairement partie du territoire de l'Etat d'Israël aujourd'hui ? (A titre de comparaison, ce serait un peu comme appeler Bourgogne l'ensemble de la France). Comment réduire à la tribu de Juda, même si on y inclut celle de Benjamin, toutes les autres tribus d'Israël : de Yosef, de Dan, de Zebulon, d'Asher, de Shimon, de Ruben, d'Issachar, de Lévi, de Nephtali ou encore de Gad, qui ne peuvent se reconnaître dans ce nom réducteur ?
- Enfin, last but not least, ne parler que d'Etat judéen ne permettrait pas de rassembler non seulement les autres "Israélites" qui constituent encore aujourd'hui une communauté - comme les samaritains, qui sont partiellement reconnus par l'Etat bien que non considérés comme "juifs" - mais aussi le reste des Hébreux et descendants ethniques et/ou idéologiques des Hébreux dans leur ensemble : non seulement les Qaraïtes mais toutes les autres peuplades hébreues que nous mentionnons dans notre Petite histoire des Hébreux : les Amalécites, les Ammonites, les Cananéens, les Edomites, les Ismaélites et les Shim’onites, les Israélites, les Moabites, les Midyanites, et les ‘Phéniciens’ (principalement, les Zébuloniens de Tyr et de Sidon). Aucun pouvoir israélite en outre, même au temps de la "royauté unifiée" n'a jamais réuni l'ensemble du pays des Hébreux et de ses peuplades.
Netanyahou n'a pas complètement tort pour une partie d'entre nous, mais il exclut alors de facto - voire de jure - presque tous les autres. On pourrait dire également que, dans une tentative de légitimer les problèmes de définitions questionnant "l'Etat juif" (le problème est qu'il ne s'agit pas seulement d'un questionnement mais d'une accusation par les Nations et d'une mise au pilori, et de ce fait Netanyahou a quand même raison de se défendre contre cette outrance), Netanyahou procède à une nouvelle 'judaïsation' (au sens de Juda, la région et non de 'judaïsme' ... à nouveau ce problème sémantique) d'Israël, réduisant Israël et l'ensemble des Hébreux à Juda.
Il ne faut donc parler ni d'Etat juif ni d'Etat judéen, mais d'Etat hébreu, et faire en sorte qu'il en soit un. Ce que je vous invite à faire.
Méïr Ronen - Le Blog des Hébreux.
1er mars 2017
je suis d'accord pour le pays des hebreux
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