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La Catalogne fait erreur quand elle en appelle à l'Europe

La vidéo diffusée ci-dessous témoigne de la large volonté de la part des indépendantistes catalans, ancrés à gauche, de se revendiquer de l'Europe et des idées européennes, des "valeurs européennes" comme il est dit : "démocratie, liberté, droits de l'homme". Les images choisies sont néanmoins plus discutables que les grands principes proclamés. Les principes qui suivent "droits sociaux, santé publique, égalité pour les femmes et éducation [...] société ouverte faite d'une population venant du monte entier" sont ensuite beaucoup plus orientés, en particulier lorsqu'ils sont accompagnés des images choisies. Autant de symboles qui témoignent d'une orientation vers une gauche multiculturaliste de la campagne. Ce qui n'est pas forcément de bon augure.

Mais surtout, la campagne "Help Catalonia, Save Europe" entend en appeler aux instances de l'Union européenne pour les soutenir. C'est une erreur. Pour plusieurs raisons.

Politiquement d'abord, l'Union européenne reste une union d'Etats membres (bien qu'elle constitue également et grandement une entité politique en soi), qui sont tous des Etats-nations construits sur le même modèle, à quelques variantes près. Or aucun Etat-nation membre n'est prêt à accepter la dislocation d'un de ses partenaires, de peur que la même chose arrive chez lui. Reconnaître à la Catalogne une "identité nationale", le caractère d'un "peuple à part entière" reviendrait à ouvrir la boîte de pandores à d'autres revendications : bretonnes, corses, basques, etc, pour ne citer que les plus connus. Le président Macron ne s'en est d'ailleurs pas caché. Autre raison, l'Union européenne, déjà empêtrée dans des crises économiques et politiques qu'elle ne parvient pas à résoudre à 28, ou 27 moins le Royaume-Uni - qui n'a pas encore concrétisé son Brexit - ne tient pas particulièrement à ajouter un nouvel Etat membre (malgré les tendances idéologiques à toujours plus d'élargissement, qui sont toutefois largement mises en sourdine ces dernières années).

Idéologiquement par ailleurs, les technocrates de Bruxelles, formés au sein des machines politico-technocratiques de leurs pays respectifs puis de Bruxelles, perçoivent le mouvement indépendantiste catalan comme un réveil des "idées nationalistes", idées qui les rebutent au plus profond d'eux-mêmes, idées si opposées à l'image qu'ils se font de l'Union européenne : si ouverte et généreuse, si pacifique, nouvelle identité politique dépassant les Etats-Nations. 

C'est sans doute pour toucher cette sensibilité-là, ces idées anti-souverainistes, si globalistes, si européistes, que la gauche catalane indépendantiste tente de montrer son "ouverture", son "accueil des réfugiés", etc, etc. Mais la gauche catalane est bien seule à tenter de combiner ces idées post-nationales avec sa propre volonté de redécouverte identitaire. Aussi le message ne parvient pas à passer.

Mais c'est juridiquement que le camp indépendantiste catalan se met le plus le doigt dans l'oeil. Ce dernier entend faire appel à l'Union européenne au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. A ceci près que ce grand principe reste dépendant des forces politiques en jeu uniquement (ce qui nous renvoie à la situation politique exposée plus haut) et que l'Union européenne est en réalité l'organe politique par excellence qui contient en son centre le droit. Le droit et rien d'autre. N'étant pas un Etat, on ne peut parler d'Etat de droit, mais d'une entité où le droit a pris place avant l'Etat. Cas assez rare dans l'histoire. Or qu'est-ce que le droit ? Ce n'est rien d'autre qu'une politique établie, décidée, règlementée, codifiée. Si bien que selon l'Union européenne, ce n'est que par la voie du droit, la voie légale, qu'une solution peut être trouvée. Ce qui signifie que ce n'est que sur la base du droit établi que le droit peut être changé pour établir un nouveau droit. Ce qui ne peut se faire qu'en cas de rapport de force politique largement favorable, et encore. Cette solution n'est par ailleurs pas contenue dans les traités européens, qui ne traitent pas de ces questions. Le niveau de droit auquel l'Union européenne renvoie est donc celui de l'Etat membre, le plus haut niveau de droit de l'Etat-membre dans la hiérarchie des normes : en d'autres termes la Constitution espagnole. C'est ce qu'exprime parfaitement la chancelière allemande Angela Merkel lorsqu'elle déclare (Figaro du 20 octobre 2017) : "Nous soutenons la position du gouvernement espagnol. Nous espérons que des solutions pourront être trouvées sur la base de la constitution espagnole." La même constitution espagnole qui a déclaré inconstitutionnel, illégal le référendum catalan sur l'indépendance. Cette constitution qui ne prévoit pas d'indépendance des Catalans ou d'une partie de l'Etat qu'elle estime entier et légitime, indivisible, bien que de larges autonomies aient été consacrées. Cette constitution qui, bien que négociée, constitue le droit, c'est-à-dire la politique établie à un moment donné, à un moment de rapports de force donné, où il n'était pas question d'accorder la moindre indépendance à quiconque. Cette constitution qui constitue l'élément suprême de concrétisation de la domination, de la colonisation historique de la couronne d'Espagne sur les peuples autochtones qu'elle a progressivement soumis (que cela ait été fait par des alliances d'élites, de rois et de reines, pacifiquement ou pas). En cherchant donc à faire appel à l'Union européenne sur la base de grandes valeurs d'ouverture, le mouvement indépendantiste catalan se trompe. Ces grandes valeurs, au demeurant contestables et plus partiales qu'on ne le croit lorsqu'on rentre dans les détails, sont le paravent qui anime les européistes. L'exemple catalan nous montre à quel point le droit, et même la démocratie (il serait trop long de développer ici de quelle manière) peuvent parfois être éloignées de la justice, de la justice historique. 



C'est d'ailleurs ce qui manque dans cette vidéo comme ailleurs : le point de vue historique. En termes de communication, si l'on exclut la compassion que cette vidéo et toute la campagne cherchent à créer chez le spectateur, on ne comprend pas bien sur quoi se fonde l'indépendance des Catalans, historiquement parlant (la vidéo nous bassine sur l' "ouverture" des Catalans sans nous parler de leur histoire) ce qui entraîne les commentaires les plus grossiers sur des divisions d'Etats-nations à chaque crise politique. Or c'est bien aux droits inaliénables des peuples historiques et autochtones qu'il faut faire référence car ce sont les seuls qui justifient une indépendance des pays catalans. Mais ces droits inaliénables, qui sont distincts du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" sans constance ni définition de la charte de l'ONU, ne font en réalité partie ni de l'univers juridique, ni de l'univers intellectuel de l'Union européenne. Et les Catalans, comme les Basques, les Corses ou d'autres, qui le ressentent au quotidien, qui ne maîtrisent pas toujours la conceptualisation adéquate, restent impuissants à se faire comprendre.
Nous ne saurions pour les aider que les inviter à lire cet article sur les droits des peuples premiers.

Il leur faudrait également comprendre la partialité et l'hypocrisie des valeurs multiculturalistes qu'ils mettent en avant, et apprendre qu'une indépendance ne s'acquiert que rarement par le droit établi et qu'il leur faudra prendre le droit de créer leur propre droit (dans tous les sens du terme).

Méïr Ronen - Le Blog des Hébreux

1 commentaires:

  1. Parfait ! L'usage du terme "Etat-ethnie" pour la Catalogne indépendante aurait été bienvenu.

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