Cette semaine Israël a rendu hommage aux 23 646 personnes en Israël tombées au combat ou victimes du terrorisme lors de Yom Hazikaron (dans sa version courte, le jour du souvenir). Le pays commémorait également la semaine précédente les victimes de la Shoah pendant la deuxième guerre mondiale (Yom Hashoah vé Ha gvorah, le Jour de la Shoah et de l'héroïsme).
Le cycle Yom Hashoah - Yom Hazikaron - Yom Ha atsmaout, fait l'objet d'une contestation qui peut être lue dans le livre de David Belhassen, Sionisme et palestinisme. Les 7 pièges du conflit. Mais là n'est pas notre propos.
Ces deux événements sont particuliers en Israël et n'ont à ma connaissance aucun équivalent dans le monde. Le soir qui ouvre les commémorations, le pays s'arrête, les magasins, cafés et restaurants ferment entièrement pour la soirée, avant de rouvrir le lendemain matin, et tous les médias ne se consacrent qu'au souvenir de la Shoah le jour de la Shoah puis aux soldats tombés au combat et aux victimes du terrorisme lors du jour du souvenir. Les cérémonies sont tristes et touchantes, très émouvantes, et permettent à l'ensemble des citoyens du pays de partager ne serait-qu'un soir, la peine de ceux qui ont perdu des êtres chers. De penser à eux, d'en savoir plus sur eux, et en fin de compte, elles sont une façon de se relier au peuple d'Israël. D'expérience, je pense qu'on ne peut pas véritablement connaître le pays et s'y rattacher sans partager la peine commune le soir de Yom Hazikaron, les commémorations étant retransmises à la télévision, qui ne retransmettent rien d'autre.
Il me semble qu'il existe néanmoins une différence entre Yom Hashoah et Yom Hazikaron. Mon but n'est pas de mettre en concurrence deux jours de peine et de deuil, ou de comparer une guerre à d'autres, ou une peine à d'autres. Mais j'observe et ressens sans doute une peine plus forte à Yom Hazikaron. Encore une fois il ne s'agit pas de nier ou de réduire la peine ressentie par le peuple d'Israël lors des commémorations de la Shoah. Mais je vois une différence essentielle. Deux précisément.
1° La première va de soi. A l'exception des personnes touchées directement par la Shoah au sein de leur famille, et qui ont perpétré ce souvenir dans leur éducation, c'est souvent le cas des familles dites "ashkénazes", c'est-à-dire immigrées d'Europe de l'est dans la première moitié du 20e siècle, et à l'exception notable également des personnes fortement marquées par l'idéologie "shoaïste" (Voir sur ce point l'article à l'origine de ce terme, qui me semble extrêmement pertinent et la définition proposée par l'auteur à l'origine de ce néologisme) qui font de la Shoah une quasi-religion mais qui sont pourtant généralement incapables d'identifier les véritables nazis de notre époque ; la Shoah est plus lointaine dans l'histoire. Le temps passe, quoiqu'on en dise, et surtout, les témoins survivants de la Shoah se font de plus en plus rares. La Shoah se réfère ainsi à un monde passé, qui n'existe plus.
Yom Hazikaron en revanche, commémore le souvenir des guerres d'Israël et des victimes du terrorisme. Or ces guerres et ce terrorisme sont toujours d'actualité. Les victimes sont nombreuses et continuent de l'être chaque année. Aussi les témoins qui ont perdu des êtres chers souffrent encore au plus profond de leur âme la disparition d'un père, d'une fille, d'une mère, d'un fils, d'un frère ou d'une soeur, etc. Leurs histoires datent d'hier, de ce matin, de demain peut-être, malheureusement, et nous touchent aussi énormément.
2° Mais la seconde raison qui selon moi fait de Yom Hazikaron un jour plus dur encore pour le peuple d'Israël, est historique et idéologique.
Lors de Yom Hashoah, le discours tenu par les autorités, en particulier par les autorités militaires, est un discours qui se veut rassurant. "Plus jamais ça" ... "nous sommes là pour ça, Tsahal est là pour ça". L'idée consiste à dire que la Shoah ne pourrait pas se reproduire aujourd'hui grâce à l'Etat d'Israël, du moins que l'Etat d'Israël - qui n'a pas été créé suite ni à cause de la Shoah, disons-le clairement, mais en dépit de la Shoah (voir notamment sur ce point l'oeuvre de l'historien désormais célèbre Georges Ben Soussan) - est l'instrument destiné à empêcher toute nouvelle Shoah de se reproduire, que l'Etat d'Israël désormais nous défend, nous protège, nous sécurise, nous donne une souveraineté qui n'existait pas à l'époque de la Shoah. Le discours logique qui va avec, consiste également à dire que les juifs doivent immigrer en Israël où ils jouissent d'une souveraineté et d'une sécurité.
En revanche, lors de Yom Hazikaron, l'argument ne tient plus. Yom Hazikaron commémore justement ceux qui sont tombés au combat pour l'Etat d'Israël ou en raison du terrorisme qui sévit dans l'Etat d'Israël. Yom Hazikaron marque en fait les morts pour lesquels nous n'avons pas trouvé de solution, ceux avec lesquels nous devons vivre si nous voulons notre Etat. L'Etat d'Israël n'est donc pas une solution en l'espèce et on ne peut pas dire "Plus jamais cela". Tout le monde sait en effet que la guerre fait partie de la réalité d'Israël, tout comme les attentats. Même si nous luttons chaque jour pour éviter ces morts et que la situation est sans doute meilleure qu'elle a pu l'être dans le passé, ils sont ceux de l'Etat d'Israël, et non ceux qui sont morts parce que l'Etat d'Israël n'existait pas. Les morts de Yom Hazikaron sont ceux qui sont morts pour que l'Etat existe, pour qu'il continue à exister, et parfois même parce qu'il existe. C'est un coup très dur à notre volonté de vivre en paix, chez nous, en sécurité. Ce sont des morts pour lesquels nous n'avons pas de solution structurelle.
En cela, Yom Hazikaron est idéologiquement sans aucun doute le jour le plus triste de l'année.
Mais parce que la mort et la tristesse ne sont que des moments passagers qui font partie de la vie, fidèles à la tradition heureuse des Hébreux, dès ce soir nous fêterons les 70 ans de l'Etat d'Israël et le retour de la souveraineté des Hébreux au pays des Hébreux.
Méïr Ronen - 18/4/2018
Le Blog des Hébreux - Une version courte a été publiée sur Times of Israel.
Analyse imparable, de par sa justesse, sa pertinence, sa sagacité, et son bien-fondé.
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